Suite sommeil : un échange très INTERessant !

 

Docteur Marc Rey (de l'Institut national du sommeil et de la vigilance) - Pour l'instant on n'a pas réussi à trouver un facteur génétique précis, responsable de l'insomnie. Il est clair qu'il existe des familles d'isomniaques. On ne sait pas si c'est lié à l'éducation qui fait que si vous avez des parents insomniaques vous êtes confrontés très tôt à ce qu'est l'insomnie. Donc, ce facteur génétique existe probablement mais il est sans doute plurigénétique, et donc assez difficile à déterminer.

Ce qui est très important c'est le facteur de chronicisation, c'est à dire le fait d'avoir démarré une insomnie et de redouter cette insomnie tous les soirs en allant se coucher. Malheureusement, ce type d'isomnie dure de très nombreuses années très souvent.

Ali Ribeihi - Avant ce facteur qui va chroniciser l'insomnie, il y a un facteur précipitant. Le ou les facteurs qui vont nous faire basculer dans l'insomnie, c'est peut-être un événement familial, médical ou intime, Dr Marc Rey...

Dr R. : - Tout à fait, de nombreux facteurs peuvent nous faire basculer dans l'insomnie. Il y en a un qu'il faut retenir en particulier, chez la femme mais également chez l'homme. C'est la naissance d'un enfant. Parce qu'un enfant, tout petit, ne sait pas dormir. Il faut qu'il apprenne à marcher, qu'il aprenne à parler, qu'il aprenne à dormir, c'est à dire qu'il ait un rythme veille/sommeil qui se mette progressivement en place. Avec des éveils nocturnes qui sont très fréquents puisque l'enfant ne sait pas quand il naît s'il faut dormir la nuit ou le jour ! Et c'est un peu les parents qui vont l'inciter à dormir la nuit, et à être éveillé le jour. Bref, un certain nombre d'insomnies chez la femme vont apparaître à l'occasion de la prise en charge d'un nouveau-né, qui va fragmenter leurs nuits de façon beaucoup plus importante. 

- Et cela concerne également les nouveaux pères, Dr Baptiste Beaulieu ?

Dr B. - Ah oui, je peux confirmer que la dette de sommeil est intense là ! Intense et profonde... mais c'est très étrange, c'est comme si le corps se mettait dans des dispositions particulières avec l'arrivée d'un bébé... C'est très très dur. Peut-être est-ce l'effet de l'ocyitocine, mais en tout cas c'est beaucoup moins difficile quand on s'occupe d'un plus petit, plus fragile que soi, que quand on est juste dans son lit, les yeux grands ouverts, avec entre guillemets, rien à faire :)

A.R. - L'ocytocine, cette hormone de l'attachement... Benjamin Putois et Mélinée Chapoutot, je rappelle que vous publiez "Libérez-vous de vos insomnies". J'aimerais qu'on revienne sur ce facteur qui entretient l'insomnie, quand elle s'installe dans la durée, avec bien souvent des comportements inadaptées ou en s'appuyant sur des croyances erronées sur le sommeil, non Mélinée Chapoutot ?

M.C. - Absolument, il y a certains comportements qui sont très présents chez nos patients. Par exemple, on a la croyance qu'il faut dormir huit heures. En fait, tout dépend de votre besoin de sommeil. Il faut se demander : de combien d'heures, en moyenne, ai-je besoin pour être en forme, pour maintenir ma vigilance en journée, à l'exception des moments où j'ai une baisse de vigilance naturelle, en fin de matinée, en fin d'après-midi etc...  Effectivement, le besoin de sommeil va être déterminant pour savoir combien de temps il faut dormir.

A.R. - Docteur Marc Ray, j'aimerais qu'on s'arrête juste quelques minutes sur les insomnies causées par une pathologie. Je pense à un asthme nocturne, à un reflux gastro-œsophagien, à une hyperthyroïdie, mais également à l'apnée du sommeil, ou au syndrome des jambes sans repos.

Dr M.R. : Oui il y a tout un tas de causes comme ça, médicales, qui vont induire une insomnie. Le syndrome des jambes sans repos c'est le fait d'avoir des sensations désagréables, la nuit quand vous allez vous coucher, qui fait que vous êtes obligés de vous relever pour faire disparaître ces sensations désagréables. Et on comprend bien que là, on va avoir un retard à l'endormissement, parce que, lorsque je m'allonge, ces sensations réapparaissent. C'est quelque chose qui est très important, et très souvent les gens font l'hypothèse inverse. Ils disent qu'ils se sentent énervés, qu'ils n'arrivent pas à dormir, sans signaler que le problème est dans leurs jambes. Et donc il faut qu'on aille chercher cette information... vos jambes, comment ça se passe le soir ? C'est fondamental. Deuxième syndrome essentiel, c'est le syndrome d'apnée du sommeil parce qu'il est très fréquent et les apnées vont fragmenter notre sommeil. Et ça va plutôt se traduire par des difficultés à rester bien éveillés la journée plutôt que par une véritable insomnie. La plainte d'insomnie peut bien sûr se vérifier aussi, comme l'on peut observer au contraire une hyperinsomnie (le fait de trop dormir dans la journée).
Et puis bien entendu, vous avez ce reflux gastro-œsophagien qui peut nous perturber, mais surtout, cela va être majoré par le stress. Et là on risque d'avoir un véritable cercle vicieux. C'est à dire que le fait d'être stressé majore mon reflux, et le reflux m'empêche de dormir. Donc cela montre bien qu'il faut comprendre son insomnie. On ne peut pas donner le même traitement à tout le monde, car il existe de nombreuses formes d'insomnie. 

A.R. - Alors selon certaines données, les personnes qui souffrent d'anxiété et de dépression auraient 7 à 10 fois plus de risque de souffrir d'insomnie chronique que les autres. Le stress et l'anxiété nous empêchent de nous endormir ou écourtent nos nuits...

B.P. : - Ça tient à un hyper réveil et ça vient d'une morosité de l'esprit... on voit tout de manière catastrophique. Et, de fait, cet allié – comme on l'a décrit – qu'est le sommeil, s'il bat de l'aile, on va être sujet aux inquiétudes. Et les inquiétudes vont rajouter une couche de stress. Cela va donner une sorte de tsunami qui va passer toutes les jetées de protection en amplifiant le phénomène.

A.R. : - Mélinée Chapoutot, comment s'empêcher de ruminer au moment du coucher ? Quel est votre kit de secours pour éviter de repenser aux choses stressantes qui se sont passées dans la journée ? Qu'est-ce qu'il faut faire quand on se couche et qu'on est sujet à ces ruminations, à ce stress, à cette anxiété ?

M.C. : - C'est sans doute un kit multiple. Alors il y a la pleine conscience, c'est la thérapie qu'on développe dans le livre. Cela permet de prendre conscience des ruminations. À quel moment je passe d'une réflexion construite, efficace, qui me permette de faire une véritable résolution de problème, à une rumination c'est à dire finalement l'esprit qui tourne en boucle sur un problème et cela ne fait que renforcer l'hyper réveil.
Quand on a pris conscience de ces ruminations il y a un certain nombre de méthodes qu'on peut mettre en place qu'on développpe dans le livre, qui permettent de mettre à distance ses pensées...

A.R. : - Par exemple ?

M.C. : - On insiste sur "la thérapie d'acceptation et d'engagement" (thérapie de dernière génération) : l'esprit est une sorte de boîte de réception, dans laquelle régulièrement vous recevez des spams... Vous allez juste étiqueter ce message spam qui ne va pas être utile pour vous. De la même manière, on ne va pas entrer en matière avec chacune de nos pensées. On va simplement les étiqueter et les laisser passer par exemple. Et on va aller vers des pensées qui vont être utiles pour nous, et qui vont nous permettre d'engager des actions qui ont du sens pour nous.

A.R. : - Benjamin Putois ? 

B. P. : Dans cette "thérapie de l'acte" on peut aussi prendre nos pensées pour ce qu'elles sont. C'est à dire qu'elles ne sont pas des vérités absolues. Si l'on se persuade vraiment qu'on ne va pas fermer l'œil, ça va être une autorévélation. Donc il y a une méthode d'apprentissage, vue dans ce livre, qui permet de prendre des distances par rapport aux pensées.

A.R. : Il s'agit de voir les pensées comme des nuages qui passent et qui s'effilochent... sans s'attarder.

B.P. : - C'est en cela que la pratique de la pleine conscience va se révéler le plus utile. Plus je passe du temps à attendre le sommeil, plus j'ouvre les portes à toutes les ruminations, positives ou négatives. Quand on souffre d'insomnie, toute minute passée à attendre le sommeil, va accentuer le phénomène ruminatoire. Donc il faut se demander : est-on bien dans son lit ? N'est-on pas plutôt en souffrance lorsque l'on est dans cette posture là ? Il faut sortir du lit et penser aux choses essentielles de sa vie !

A.R : Les recettes des auditeurs pour combattre l'insomnie : se lever, faire du ménage, prendre sa douche... sortir du lit, s'activer... [mais est-ce vraiment possible pour tout le monde ?]

Dr Marc Rey : - Oui il est important de se lever et de faire des choses calmes pour retrouver le plaisir de retourner au lit. C'est très important. Vous parliez de douche aussi... par temps de canicule il est bien de ne pas trop transpirer au lit et de se rafraîchir. Il faut refroidir le corps.

B.P. : - Les insomnies nous avertissent : il faut dormir son quota de sommeil. Se décentrer de cette recherche à tout prix de dormir, cela s'appelle le contrôle du stimulus, et cette méthode là est la plus prouvée en matière d'efficacité scientifique.

Dr Ray : - Il ne faut pas forcément chercher le sommeil mais le repos, à travers des positions. Car c'est paradoxal, si je cherche je ne vais pas trouver. (...) En général, un prérequis est celui de régulariser ses heures de lever et de coucher, car le sommeil s'inscrit dans un rythme régulier (...). Un endormissement, cela se prépare : on n'est pas des machines avec un bouton "on/off".

A. R. : - Sur votre site, le site de l'institut du sommeil et de la vigilance, j'ai repéré des règles simples que l'on a parfois tendance à oublier. En sus de la régularité dont on vient de parler, s'exposer à la lumière du jour, surtout le matin pour aider à réguler notre horloge biologique, modérer sa consommation d'excitants, pratiquer une activité physique régulière.

Dr M.R. : Tout à fait c'est beaucoup plus le stress psychologique qui nous empêche de dormir (par rapport au stress physiologique).

 

Très bien, peut-être malgré le fait "qu'on ne nous dit pas tout" : si l'insomnie est causée par de très mauvaises journées passées au bureau ou autre, il faudrait sans doute d'abord penser, réussir à... corriger ce qui ne tourne pas rond en période de veille. Soit, agir sur la source de nos soucis ce qui, souvent, est loin d'être évident !...


 

La belleLes cent ans de sommeil 
de "La belle au bois dormant"...

 

Une dernière flèche, pour une continuation non prévue, d'après une autre source ;)