LA VIOLENCE DU MONDE - J. Baudrillard et E. Morin

 

LA VIOLENCE À TOUT NIVEAU...

 

Face a la violence


Deux conférences prononcées à l'Institut du monde arabe, présentées dans un petit livre aux éditions du félin, dont nous avons fait l'acquisition au marché aux livres du samedi, à Nissa la Bella. L'impression "date" de 2003, mais le propos est encore plus actuel aujourd'hui car, hélas, "la violence du monde" ne va pas en diminuant... surtout en temps de guerres, et quelles guerres (sans parler de la déconcertante barbarie caractérisant moult faits divers, ou du "sort" des migrants, qui n'est pas une fatalité, mais bien une horreur)!

Pour être tout à fait sincères, la conférence de Jean Baudrillard ne nous a pas convaincus. Trop hâtif, pas assez clair (maybe, for us...). Pourtant l'un de ses nombreux ouvrages de sociologue nous avait particulièrement plu, sur "La société de consommation". Citons tout de même ce qui nous fait méditer dans le discours de Baudrillard, qui faisait surtout référence aux événements du 11 septembre 2001 à New York. « Si la prétention du terrorisme était de déstabiliser l'ordre mondial ou de déstabiliser l'État comme on disait jadis, alors elle est absurde. Étant donné que l'ordre mondial ou l'État sont déjà tellement inexistants, à proprement parler, et sources d'un tel désordre et d'une telle déstabilisation, il est bien inutile de vouloir en faire davantage. Le risque est même, par ce désordre supplémentaire, de renforcer l'ordre et le contrôle de l'État, comme on le voit aujourd'hui, dans l'établissement de nouvelles mesures sécuritaires partout ». Baudrillard dirait-il exactement la même chose aujourd'hui ? C'est toute la question de la sécurité (et de tout ce qui lui est lié) qui se pose ici.

Passons directement aux propos d'Edgar Morin (présent aussi au sujet de l'indispensable interdisciplinarité, dans notre section Contact). Réflexions et constats sélectionnés rien que pour vous (!).  Mais d'abord prenons en compte un extrait de l'introduction/présentation de François L'Yvonnet, philosophe et éditeur. « Edgar Morin est un philosophe, comme l'étaient à leur manière les philosophes matinaux, car il pense la conjonction de la théorie et de la pratique (...). Avant d'être un penseur, c'est un homme capable de prendre des positions courageuses et lucides sur un certain nombre de questions d'une grande actualité. C'est un homme impliqué dans l'histoire de son temps, pour preuve son engagement au sein de la Résistance, et ses prises de positions en faveur d'un règlement de la crise palestinienne ». 

"Au cœur de la crise planétaire" est précisément le titre de cette deuxième conférence "morinienne"... Et, à partir de cette belle matière, on en vient à citer ce que nous avons soigneusement souligné. « La tâche la plus difficile est de penser notre planète, mais c'est aussi la plus nécessaire (...). La mondialisation - "la planètarisation" est un terme que je préfère utiliser - est la dernière étape connue d'un processus qui a débuté avec la conquête des Amériques et le développement des navigations autour du monde, aboutissant à la mise en relation de plus en plus étroite de toutes les parties du monde. Évidemment, ce processus s'est accéléré avec la volonisation et l'esclavage, qui constituent une période très longue de l'histoire humaine. En effet, ce n'est qu'au XIXe siècle qu'a lieu l'abolition de l'esclavage, alors que le processus de décolonisation se généralise après le milieu du XXe siècle. Le paradoxe, dans cette période de l'histoire humaine tellement cruelle, est que les idées, comme l'émancipation, ont eu pour foyer les pays mêmes de la domination. Par exemple, Bartolomé de Las Casa, un prêtre espagnol, parvient à convaincre le clergé espagnol que les Indiens d'Amérique ont une âme, qu'ils sont des êtres humains, bien que le Christ n'ait pas séjourné sur le continent américain. Montaigne affirme que notre civilisation n'est pas nécessairement supérieure. De la même manière, Montesquieu montre que nous avons un regard ethnographique sur les Persans, qui pourraient, à leur tour, avoir le même regard sur ceux qui les jugent.
Avec l'humanisme des Lumières, se développe l'idée selon laquelle tous les hommes sont égaux en droits. À partir de la fin du XIXe siècle, les idées internationalistes, formulées par Victor Hugo, tentent de créer les États Unis d'Europe comme prélude aux États Unis du monde (...).

La science produit à la fois des connaissances, des bienfaits remarquables, mais aussi des armes, comme l'arme nucléaire : première possibilité d'anéantir l'humanité (...).

« La loi anonyme de la marchandise tend à anéantir tous les rapports humains qui se caractérisent par leur gratuité [oui et non dans les faits, c'est un principe important qui est souvent violé, lui aussi, aux nom des intérêts et de la cupidité !] (...) Lorsque l'on a perdu le futur et quand le présent est angoissé et malheureux, que reste-t-il à faire ? Le seul moyen d'échapper à cette aporie est de se retourner sur le passé, qui cesse d'être un tissu de superstitions pour devenir un recours [pour ceux qui savent le lire...]. C'est pourquoi, dans le monde, apparaissent des phénomènes - que l'on peut nommer intégrisme, fondamentalisme, nationalisme - qui prennent des formes extrêmement diverses mais qui ont pour point commun d'émerger dans les situations de crise. Pourtant, à travers cette crise, il faut garder l'espoir d'un nouveau type de société, une société-monde. L'idée d'une police planétaire qui lui serait associée ne doit pas se dispenser d'une politique planétaire [citons Kant et à sa publication "Vers la paix perpetuelle"]. Reste à penser cette politique qu'il faudrait mener à l'échelle mondiale [une vraie utopie si l'on pense aux désaccords de l'ensemble des pays européens, et pourtant... il serait "dommage" voire destructeur de renoncer à cette trajectoire ou de ne pas prendre soin de ce projet d'union européenne et planétaire... projet qui soit guidé par le principe du respect des droits de l'homme ce qui, de fait, exclut une bonne partie de la planète...]. (...).

[Nous parlons d'une paix découlant d'une vision universaliste du monde ? Méfions-nous de ce que cachent certains termes]. L'universalisme signifie que c'est l'Occident qui est porteur de l'intérêt universel de l'humanité [un peu d'ironie ici mais à bien nuancer aujourd'hui...). Et un peu de rousseauisme, auquel nous souscrivons]. Le développement, avec son caractère fondamentalement technique et économique, ignore ce qui n'est pas calculable, mesurable comme la vie, la souffrance, la joie, le malheur, les qualités de la vie, l'esthétique, les relations avec le milieu naturel. En d'autres termes, il ne tient pas compte des richesses humaines non calculables, comme la générosité, les actes gratuits, l'honneur, la conscience (...).

Le  développement technico-économique produit également des sous développements moraux et psychologiques liés à l'hypertrophie individualiste. Si l'individualisme occidental est, à mes yeux, une grande vertu de l'histoire occidentale [à "creuser" !], il se transforme  en hyperindividualisme, en perte de solidarité à l'égard d'autrui, en égocentrisme forcené ».

[Nous choisissons de conclure ainsi...] « Notre destin commun nous est dicté par l'ère planétaire et surtout par les menaces mortelles. Nous avons donc les ingrédients [encore aujourd'hui ?] pour une citoyenneté terrestre, mais nous n'en avons pas encore conscience (...). En ce qui nous concerne, le probable est visible dans la dissémination de l'arm nucléaire, la miniaturisation de cette arme, le développement des armements bactériologiques,la dégradation de la biosphère, l'accroissement des conflits. Les probabilités sont hautement désartreuses [encore plus vrai à présent...] (...).

La riposte à la mort, nous la connaissons : c'est la participation vivante, c'est l'amour. À cet égard, Guy de Maupassant évoque, dans un de ses ouvrages, "Fort comme la mort", l'amour; même si l'amour n'est pas plus fort que la mort, il fait vivre. En défiitive, je dirais que l'évangile de la perdition n'est pas un abîme désespéré, il faut juste apprendre à vivre en son sein (...). [Ici on respire un peu, mais Edgar Morin poursuit, toujours prophétiquement...]. Mon discours n'est pas optimiste (...). Ce que je dis toujours : je ne suis jamais sûr, attendez-vous à l'inattendu, je pense que le futur est imprévisible, le pire peut arriver ». No comment.