Eugenie grandet balzac      Eugenie grandet film 

 

Voir "Eugénie Grandet" au cinéma Pathé Gare du Sud de Nice a été pour nous un grand plaisir, même s'il s'agit d'une adaptation qui n'a rien de léger. La main du réalisateur, Marc Dugain (dont on a envie de tout savoir) est immédiatement perceptible et appréciable. Le rythme du film, prenant son temps avec intelligence, donne à lui seul entièrement envie de se concentrer sur des dialogues essentiels, même si, hélas, ils n'auront aucune incidence sur la "sensibilité zéro" (dirait-on aujourd'hui), du chef de famille, figure aussi autoritaire que bourrue.

L'intrigue amoureuse se complique et étouffe, frappée de mesquines jalousies, de mensonges insoupçonnés et de problématiques identitaires brisées par la corruption (en particulier, profits liés à la traite des noirs en outre-mer). À la suite des non-dits, ce sont les tentatives plus ou moins "rusées" et toujours désespérées d'échange en vue d'une quelque prise de conscience qui nous disent tout sur la condition des femmes, filles comme épouses, à une époque et un milieu que, de sa plume - et presque de son pinceau aiguisé(e) -, Balzac peignait et pointait du doigt de main de maître...

Tous les acteurs ne pouvaient être mieux choisis, pour incarner des personnages qui en deviennent absolument des personnes. Et l'on se souviendra longtemps de la vérité désemparée sur le visage d'une Valérie Bonneton hautement dramatique, mourante et troublante. Ainsi que de toute l'intensité et la grâce profondément mélancolique, toujours incroyablement digne, d'Eugénie-Joséphine Japy...

 

  Illusions perdues livre Cecile de france et rubempre  Rubempre et journaliste

 

Il est agréable de rester sur une autre production balzacienne d'origine, et de pouvoir comparer sans trop le vouloir... Très bon film également, "librement adapté" (mais pas si librement, malgré l'absence d'un personnage...) à partir d'un chef-d'œuvre. Création globalement tournée cette fois vers un autre milieu, plus nanti et parfois bohème. Un milieu qui déçoit à son tour... et défini à juste titre comme celui des "Illusions perdues". Cécile de France, déjà mentionnée dans ces pages, est remarquable. Et les autres protagonistes, à commencer par le héros moderne et quasi contemporain (issu de "la Comédie humaine" d'Honoré de Balzac), Lucien de Rubempré - pour un peu plus de poésie que "Chardon" - sont aux prises avec de confortables certitudes, mais aussi avec contradictions et compromissions. Quitte, là aussi et tôt ou tard, à y perdre leur âme.

C'est le milieu du journalisme, dont Balzac lui-même a eu une expérience directe, qui est surtout en ligne de mire. Nous sommes implicitement invités à l'observer (et, si possible, à le comprendre) à la lumière de ses présentes et actuelles intrigues ou vicissitudes... à distinguer du travail en lui-même, bien sûr, que d'autres veillent à (faire) respecter. Pourquoi, s'interroge la voix-off, s'efforcer d'éclairer le lecteur quand, aujourd'hui, il suffit de flatter son opinion ? Pourquoi s'employer à rédiger de bonnes critiques, personnelles et mûries, quand médisance et facilité font vendre (souvent en flattant l'opinion) ? Pourquoi écouter sa conscience et son honnêteté quand les règles du jeu sont clairement énoncées (ou clairement sous-entendues...) pour se faire une place, voire une bonne place, dans la société des apparences ?

Tentez de suivre coûte que coûte (ou quand même, simplement) votre vraie liberté, en négligeant ou en mettant au second plan les objectifs affichés et convenus... Vous aurez menacé l'intégrité de votre groupe. Vos amis pourraient donc aussitôt devenir vos pires ennemis, s'attaquant également à votre vie sentimentale et privée, et aux êtres qui vous sont chers ("méthodes" inqualifiables qui n'ont pas de frontières, mais qui n'ont rien d'inéluctable). Proportions d'agissements et de dégâts à part, "Illusions perdues" exprime un désenchantement littéraire, journalistique et cinématographique. Ce film voudrait pourtant "chanter" tout autre chose car, entre autres, il donne à voir aussi ce qu'est le romantisme par delà les conventions. Et ce qu'est un jugement personnel face à une œuvre qui nous plaît et que l'on admire. Sans oublier l'amitié, la vraie, celle qui peut encore nous surprendre au bon moment, et au delà.

Malgré le caractère limpide de cette littérature humaniste et élégante, pour tout réalisateur adapter Balzac ne coule pas de source puisqu'il s'agit, naturellement, d'être à la hauteur de sa finesse et de sa vision complète (psychologique  et sociale) de personnes et situations. Dans un rythme différent mais tout aussi efficace, ce pari nous semble pleinement relevé donc, pour Marc Dugain comme pour Xavier Giannoli. Une ciné-littérature qui fait du bien, dans l'esprit "Culture & Santé", et dont on se plaindra pas ! 

 

 

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