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Afin de ne pas alourdir la lecture et de mieux ressentir le pouvoir distrayant (et critique) de ces fables - et en saisir la portée morale sans ajouts particuliers -, nous avons choisi de renoncer aux petites notes explicatives (allusions historiques ou éclairages linguistiques), aisément repérables dans un deuxième temps par tout un chacun... Pour commencer, gare aux fausses apparences !


L'ÂNE VÊTU DE LA PEAU DU LION

 

Ane et lion la fontaine

 

  De la peau du Lion l’Âne s’étant vêtu,
Etait craint partout à la ronde,
Et bien qu’Animal sans vertu,
Il faisait trembler tout le monde.
Un petit bout d’oreille échappé par malheur
Découvrit la fourbe et l’erreur :
Martin fit alors son office.
Ceux qui ne savaient pas la ruse et la malice
S’étonnaient de voir que Martin
Chassât les Lions au moulin.


Force gens font du bruit en France,
Par qui cet apologue est rendu familier.
Un équipage cavalier
Fait les trois quarts de leur vaillance.

 


 Livre V, fable 21
 

 

Fable particulièrement claire et nécessaire...


LE CHEVAL ET L'ÂNE

 

En ce monde il se faut l'un l'autre secourir.
Si ton voisin vient à mourir,
C'est sur toi que le fardeau tombe.

Un Âne accompagnait un Cheval peu courtois,
Celui-ci ne portant que son simple harnois,
Et le pauvre Baudet si chargé qu'il succombe.
Il pria le Cheval de l'aider quelque peu :
Autrement il mourrait devant qu'être à la ville.
La prière, dit-il, n'en est pas incivile :
Moitié de ce fardeau ne vous sera que jeu. 
Le Cheval refusa, fit une pétarade ;
Tant qu'il vit sous le faix mourir son camarade,
Et reconnut qu'il avait tort.
Du Baudet, en cette aventure.
On lui fit porter la voiture
Et la peau par-dessus encor.

 

Livre VI, fable 16

 

L ane et le cheval

Et si cela devait se reproduire avec un autre âne, que ferait le cheval ?!
Se souviendrait-il des torts reconnus ?

 

 

LE CHIEN QUI LÂCHE SA PROIE POUR L'OMBRE

 

Chacun se trompe ici-bas :
On voit courir après l’ombre
Tant de fous, qu’on n’en sait pas
La plupart du temps le nombre.
Au Chien dont parle Ésope il faut les renvoyer.


Ce Chien, voyant sa proie en l’eau représentée,
La quitta pour l’image, et pensa se noyer ;
La rivière devint tout d’un coup agitée.
À toute peine il regagna les bords,
Et n’eut ni l’ombre ni le corps.

 

 Livre VI, fable 17

 

Le chien qui lache

Gustave Doré... l'un des principaux illustrateurs de La Fontaine.
À ce propos (et pas seulement), pour les plus curieux, bienvenue par ici...
(après avoir terminé votre lecture "Culture & Santé" !...).
 
 

Fable presque aussi connue que les plus classiques
...et l'une des plus belles, à notre goût.


 

LE LION ET LE RAT

 

Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde :
On a souvent besoin d'un plus petit que soi.

De cette vérité deux Fables feront foi,
Tant la chose en preuves abonde.


Entre les pattes d'un Lion
Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le Roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.

 

Le lion sauve le rat



Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un aurait-il jamais cru
Qu'un Lion d'un Rat eût affaire ?

Cependant il advint qu'au sortir des forêts
Ce Lion fut pris dans des rets,
Dont ses rugissements ne le purent défaire.


 

Le lion est capturé


Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.

 

Livre II, 11 et 12

 

En page suivante, autre registre... sans quitter La Fontaine ;)

 

 

Merci d'avoir suivi jusqu'au bout nos choix "Culture & Santé", impliquant également la pleine reconnaissance des fables les plus connues, à commencer par notre préférée : "Le lièvre et la tortue", sans doute... Un bel éloge de la lenteur (à prendre avec un certaine mesure, bien sûr !) et d'une certaine humilité ; surtout, une critique aigue de l'hyper-rapidité-efficacité. Mais aussi un plaidoyer pour la réflexion ou même pour la "contemplation" ; bref, un message plus que jamais à contre-courant pour les lièvres que nous sommes (presque) tous devenus, parfois bien malgré nous !
Pour terminer, vous aurez droit à cette analyse particulièrement intéressante, extraite de la collection de référence "Lagarde & Michard", à la page intitulée "L'univers moral des fables".

 

Nous trouvons parfois aux gens des airs d'animaux. Notre fabuliste prête aux animaux une âme élémentaire et s'élève contre les « animaux machines » de Descartes. Il attribue à toutes ces bêtes un caractère en harmonie avec leur aspect physique. S'il manque ainsi à la réalité scientifique, il élabore une vérité artistique d'un effet saisissant.

Lorsque, par delà ces modèles, les bêtes ont un embryon de caractère, La Fontaine l'enrichit considérablement, de sorte que le monde animal en vient à représenter la société des hommes, avec leur psychologie complexe, leurs passions et leurs vices [surtout leurs vices ?].

Cette peinture bien pessimiste de la pauvre humanité n'est-elle pas conforme à celle du génie satirique de Molière ou à celui de La Bruyère ? Encore pourrait-on [peut-être...] dire que la peinture de l'homme est plus complète chez La Fontaine, car il lui est arrivé de nous montrer aussi des vertus telles que l'hônneteté et la modération (X, 9), la générosité (VI, 13), le désintéressement (XI, 9) et l'amitié (IX, 2 ; VIII, 10 et VIII, 11) qui, fort heureusement, sont aussi des traits permanents de la nature humaine.
 

 

La fontaine statue louvre

 

Musée du Louvre : la magnifique statue de La Fontaine,
œuvre de Pierre Julien, sculpteur du roi.